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05/01/2018
La méthode Tillie
Auteur Par Juliette Tournand et Bertrand Pulman
En trois ans, Laurent Tillie a conduit l'équipe de France au premier titre de championne d’Europe de son histoire. A la veille du Tournoi de qualification olympique, interrogé pour Generali, partenaire des Bleus, par le sociologue Bertrand Pulman et Juliette Tournaud, coach et auteure, le sélectionneur décrypte sa méthode.
Pour faire progresser une équipe, il faut progresser soi-même dans l’art d’entraîner. Comment vous y prenez-vous ?
J’échange avec les autres entraîneurs nationaux dans le monde entier. Nos entraînements sont ouverts les uns aux autres. On s’observe, se parle, s’éclaire sur nos techniques. Avant un match amical avec le Canada, les deux équipes descendent au même hôtel, s’entraînent ensemble et les coachs échangent. C’est comme ça dans le monde entier en volley. Je fais des conférences en Italie et aux USA, nos concurrents directs. On préfère notre sport à nos performances.

Les relations entre équipes nationales et clubs sont souvent tendues et sources de tiraillement pour les joueurs. Quelles relations entretenez-vous avec les clubs ?
Les coachs des clubs sont les bienvenus dans mes entraînements. Pendant la période club, j’ai un petit budget pour garder le contact avec les joueurs, j’en profite pour écouter leurs coachs. Et je donne des cours et des conférences quand on m’en demande. Sinon, à mon arrivée, l’équipe venait de passer quatre saisons à Dunkerque, les joueurs se lassaient. J’ai eu l’idée de tourner dans les clubs. La présence de l’équipe de France leur donne de la visibilité médiatique et pour les joueurs, ça change tout. Au début, il a fallu convaincre les clubs, j’ai commencé là où j’ai des amis : Montpellier, Tours. Maintenant, ils se portent candidats.

« Je décide, nourri par mon staff »

Quelle sorte de patron êtes-vous ? Comment fonctionnez-vous avec votre staff, votre « comité de direction » ?
Pendant les cinq mois et demi du stage, c’est moi qui prends les décisions, mais nourri par mon staff : kiné, médecin, adjoints. Les joueurs ne me parlent pas directement, ils parlent au staff qui me rapporte de façon informelle, pendant les repas. Ça me donne du recul pour prendre les décisions. Dans mon rôle d’entraîneur, je suis intuitif : quand et comment commencer un entraînement, monter en puissance, arrêter, ça se fait au feeling, au contact. Le rôle des adjoints est de m’alerter pendant l’entraînement ou en débriefing sur des points physiques, techniques, d’attitude ou de comportement. Dans leurs jobs respectifs, les membres de mon staff ont une totale autonomie. En retour, si j’ai besoin des statistiques d’un joueur russe, mon statisticien consulte son réseau et j’ai l’info le lendemain matin.

Enfin, avec vos joueurs. Quel a été votre premier geste ?
Pour les fédérer, je leur ai donné un objectif clair, un objectif « no limit » : les Jeux Olympiques. Ça donne du sens à tout le parcours, et maintenant que ça approche, les joueurs sont familiarisés avec l’enjeu. Très tôt aussi, je leur ai demandé de s’encourager mutuellement dès l’entraînement.

« Un groupe, c’est de l’eau. Pour un mot de travers, le geyser devient un lac »

Quels sont les termes de votre donnant-donnant avec eux, pour obtenir ce « no limit » ?

Pendant la période d’entraînement, tout le staff est à leur disposition. En match, je les veux à la disposition du staff. Hors du terrain, ce qu’ils font ne me regarde pas. Je ne suis pas un éducateur. Sur le terrain, je suis intraitable sur l’attitude. Pour réussir, il faut avoir la concentration et l’attitude juste à l’instant précis. Je veux du « no limit » dans l’attitude des joueurs. J’observe la façon de marcher, regarder, sourire, répondre. Le joueur montre « je suis prêt ». Ensuite, je laisse la part d’improvisation. Le coup de génie naît de l’attitude au départ. Et puis coacher un collectif, c’est être sculpteur d’eau. Un groupe, c’est de l’eau. Pour un mot de travers, le geyser devient un lac. Alors j’écris deux à 4 quatre fois mes briefings d’avant match et je les apprends par cœur. En match, quand on est dans le flou, je cherche les flux d’énergie pour trouver l’étincelle positive. C’est primordial. C’est la bascule entre le cycle calamiteux et celui, vertueux, de la réussite. Quand deux ou trois joueurs reprennent confiance, tout change, c’est « no limit ».

Bertrand Pulman est sociologue, spécialisé dans les questions du sport et de la santé, professeur à Paris XIII : http://calmann-levy.fr/auteurs/bertrand-pulman/
Juliette Tournand est coach et auteure, notamment d’un livre sur les performances mentales des navigateurs « Secret du mental » : http://www.dunod.com/auteur/juliette-tournand